Le 1er octobre 2020 ouvrait au Palais Galliera (Musée de la Mode de la ville de Paris) une très belle exposition intitulée "Gabrielle Chanel, manifeste de mode". Fermée à partir du 29 octobre 2020 comme tous les musées, l'exposition devait avoir lieu jusqu'au 14 mars 2021, mais a pu être prolongée jusqu'au 18 juillet 2021.
De nombreux visiteurs n'ont donc pas eu le temps de visiter cette exposition, qui n'a été présentée que pendant à peine un mois. Si c'est votre cas, je vous propose une séance de rattrapage avec Caroline Bujeau, guide-conférencière indépendante, qui propose régulièrement des visites guidées dans les expositions temporaires à Paris.
J'ai eu la chance de pouvoir assister à l'une de ses visites guidées de l'exposition dédiée à Chanel au soir du 2ème confinement, dans un moment un peu "hors du temps" quelques heures avant la (looongue) fermeture des musées pour plusieurs mois.
Voici donc un bel aperçu de cette exposition, présentée par Caroline Bujeau. Un avant-gout qui vous donnera, je l'espère, envie d'aller découvrir cette exposition avant sa fermeture.
Exposition "Gabrielle chanel, Manifeste de mode"
L'exposition vue par Caroline Bujeau
A l’automne dernier, une exposition au Palais Galliera a ouvert ses portes sur les secrets du génie de Gabrielle Chanel avant de les refermer bien vite. On imagine aisément le fantôme de Gabrielle Chanel, en tailleur, sautoir et escarpins bicolores, parcourant les salles désertes du Palais Galliera. Il nous en reste un souvenir enchanté, quelques photos et de nombreuses réflexions.
Gabrielle… et pourquoi pas Coco ? Parce que Coco c’est un mythe, pas un manifeste. Tout le monde connaît Coco, le personnage, le N°5, les tailleurs portés par Bernadette ou par Inès de la Fressange, sur un jean.
Mais dans l’ombre des salles du Palais Galliera, c’est de l’œuvre de Gabrielle Chanel dont il est question et non de Coco, la petite orpheline qui s’émancipe à l’ombre du mondain Etienne Balsan ou dans les yeux amoureux de Boy Capel.
Une légende en noir et blanc
Gabrielle Chanel est née 6 ans avant la Tour Eiffel, décédée juste après les yéyés. Elle a traversé deux guerres, et la crise de 1929 aussi. Née à Saumur dans une famille de camelots, elle est orpheline de mère à 11 ans. Son père la place dans l’abbaye cistercienne d’Aubazine, à quelques encablures de Brive la Gaillarde.
Elle devient couturière avant d’être femme couturier et bâtit sa légende comme on bâtit une toile, pose autant de voiles sur sa jeunesse, qu’elle en a ôté sur ses robes. Edmonde Charles Roux, Paul Morand et tant d’autres ont écrit mais on n’y voit guère plus clair derrière les paravents. Une légende en noir et blanc, comme un film.
Alors il faut regarder les vêtements : à commencer par les chapeaux, débarrassés des falbalas de la Belle Epoque, canotiers plutôt que capelines, puisque c’est là que tout commence. Financée par Capel, ses chapeaux se vendent, grâce à quelques influenceuses d’époque, les actrices, Emilienne d’Alençon, Gabrielle Dorziat.
Il faut évoquer la chance aussi, cette chance d’être à Deauville pendant la Première Guerre Mondiale. Gabrielle Chanel habille les élégantes qui s’y réfugient sans avoir rien à se mettre, elle taille des costumes aux infirmières. Portée par un flair hors du commun, elle ouvre pendant cette même guerre sa première maison de couture à Biarritz. Là-bas, les jeunes filles des hautes sociétés russe et espagnole s’habillent en Worth le soir mais pratiquent tous les sports le jour : natation, golf, tennis, bicyclette. Elles conduisent même. Chanel les habille.
C’est l’avènement de sa marinière, le coup de génie d’avoir racheté un stock de Jersey, matière idoine pour les sportives. Gabrielle ouvre le 31 rue Cambon au sortir de la guerre, les tricots et les jerseys montent à Paris et Chanel va appliquer à la tenue de ville, les codes de la tenue sportive.
Comme un leitmotiv on retrouve dans tous ses modèles une simplicité apparente : des poches, des lignes épurées, les ornements supprimés. Mais seule la ligne est simple. La coupe, elle, est extrêmement sophistiquée.
On y retrouve toujours une subtilité, dans les couleurs, les motifs et les ornements : cols crénelés, légèrement volantés. Chanel a supprimé les fleurs, les plumes et les frou frous, pour les fondre dans le tissu. On y retrouve toujours le mouvement grâce à la coupe et à la taille libérée du corset. Toujours fonctionnelles, les tenues Chanel.
Sophistication sans ostentation
Sophistication sans ostentation. En quoi est-ce nouveau et moderne ?
Chanel invente la tenue unique pour tout le jour. Sans corset, plus besoin d’aide pour s’habiller. Une tenue pour monter en voiture, se promener, jouer au golf. Chanel accompagne un changement sociétal, par ce qu’elle est, grâce ou à cause de ses origines modestes. D’instinct elle traduit en couture les arts déco et le fonctionnalisme de l’architecture de son temps.
Alors, oui, d’autres l’ont précédée. Poiret avait libéré la taille du corset mais entravé les jambes. La différence avec Poiret c’est que Chanel éteint les couleurs. Patou, déjà, faisait des vêtements de sport. Mais Chanel transpose les codes du sportswear sur le terrain de la ville et même du soir. Madeleine Vionnet avait également libéré la taille, Chanel supprime le drapé.
Ce qu’elle invente, c’est l’emprunt. Elle emprunte au vestiaire masculin, au vestiaire sportif, au vêtement de travail, au vêtement traditionnel russe. Elle empruntera à l’art byzantin, elle emprunte le tweed aux anglais, et le tailleur aussi, ce vêtement simple fait pour les activités extérieures, qui collera si bien aux épaules des riches femmes d’intérieur.
Mais ce qui rend fou, c’est véritablement la manière si subtile qu’elle a d’emprunter tout cela. Lorsqu’on traîne devant les vitrines de la première salle de l’exposition Chanel, on se dit que le style Chanel c’est ça, la simplicité, des couleurs neutres, pas de fatras. Bête comme chou, fallait y penser.
Puis on s’attarde, et comme dans l’obscurité le regard s’habitue et distingue peu à peu des formes et des contours, on finit par voir tous ces détails qui n’en sont pas. Cet ensemble en noir et blanc dont les motifs géométriques rappellent l’architecture du vêtement et dont le col fait surgir comme un fantôme la marinière des débuts. Cette robe en soie brune, monochrome, un rabat comme une cape d’écuyère, mais que plus de vingt empiècements transforment en une œuvre cubiste.
Les ornements des modes passées qui ressurgissent sur les robes du soir : les nœuds se fondent dans la coupe, les sequins deviennent la matière, les fleurs deviennent tissu. Tout est dans la texture et dans la coupe, donner l’illusion du mouvement, tailler directement dans le beau, le brillant. Rien ne s’additionne maladroitement, tout est fondu, élégant.
Cette exposition fantôme nous raconte évidemment comment Chanel a inventé un style libérateur pour les femmes, et pas seulement les garçonnes. Il est d’ailleurs amusant de penser à quels excès de notre époque Chanel a peut-être contribué : les corps libérés du corset mais non de la dictature de la minceur, le règne du fonctionnel avec son cortège de sneakers, de survêtement de ville, pyjamas de jour.
Elle nous montre surtout en quoi l’œuvre de Gabrielle est un chef d’œuvre et nous rappelle que si la mode est éphémère, les vêtements de Gabrielle restent et son style demeure, manifestement.
Merci à Caroline pour ce bel aperçu de l'exposition. Pour ceux qui voudraient en savoir plus, n'hésitez pas à contacter Caroline Bujeau pour une visite de l'exposition, en vrai ou en visioconférence.
Et pour retrouver Caroline et suivre l'une de ses visites guidées dans les expositions temporaires parisiennes :
Son site internet : https://www.theothersideofparis.com/
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